Les corvidés et la biodiversité

Régime alimentaire du corvidé : généralités

Corneilles, corbeaux et pies appartiennent à la famille des corvidés, les plus grands oiseaux de l’ordre des passereaux
(en savoir plus sur les corvidés)
Toutes les espèces de cette famille partagent la même caractéristique : elles sont omnivores.
On les qualifie même d’omnivores opportunistes, puisqu’elles sont capables d’adapter leur régime alimentaire aux ressources disponibles dans le milieu.

Les corvidés sont généralement très friands de larves, d’insectes et de vers quand ceux-ci prolifèrent au printemps et en été. Ils régulent d’ailleurs des insectes qui seraient trop volumineux pour être mangés par d’autres espèces d’oiseaux.
Lorsque leurs mets favoris se raréfient (en automne et hiver), ils se nourrissent volontiers de végétaux : fruits, graines, céréales.
Cependant, chaque espèce conserve ses préférences.
Par exemple, le bec partiellement déplumé des corbeaux freux est adapté pour fouiller la terre en profondeur, et en retirer les vers et insectes qui s’y cachent. Ils sont notamment des prédateurs naturels particulièrement efficaces des hannetons, tipules et autres ravageurs de cultures dont ils cherchent les larves dans le sol des champs ou des stades.
(consulter « Des corvidés sur les terrains de sport »)

 

Les garants sanitaires de la nature

Les cadavres de micromammifères entrent pour une part significative dans le régime alimentaire des corvidés :
De nombreux animaux sont victimes quotidiennement du trafic routier ou des activités humaines ;
bactéries et autres micro-organismes se développent dans les cadavres. Ces pathogènes, bien que naturels, peuvent se répandre dans le milieu, ou contaminer les sources d’eau alentour (rivières, lacs et nappes phréatiques).
Le rôle des espèces consommant ces dépouilles est donc essentiel à la santé d’un écosystème. Le caractère nécrophage des insectes et des vautours est bien sûr largement connu. Mais les corbeaux, pies et corneilles se nourrissent également de cadavres d’animaux.
Les  « nettoyeurs » naturels de l’environnement comprennent donc la famille des corvidés.


Autre bénéfice sanitaire :
Les pies et les choucas que l’on aperçoit régulièrement perchés sur le
dos du bétail, cherchant des tiques dans leur pelage, contribuent à limiter la propagation des pathologies transmises par ces insectes, telles que la maladie de Lyme, la piroplasmose, la tularémie…

 

L’impact des corvidés sur les populations de petits oiseaux

En raison de leur régime alimentaire majoritairement carné, pies et corneilles sont parfois accusées d’occasionner des dégâts parmi les petits passereaux. Cette prédation occasionnelle s’observe essentiellement au printemps, lors de l’élevage des jeunes oisillons de corvidés.
Pendant cette période, les besoins en protéines animales sont accrus. Si le milieu n’offre pas de ressources suffisantes en insectes, les parents se tourneront vers d’autres offres alimentaires afin de satisfaire les exigences de la croissance rapide de leurs jeunes. Ainsi, œufs et oisillons de petites espèces peuvent subir la prédation des pies ou des corneilles.
Cependant, plusieurs chercheurs se sont penchés sur le sujet (1) (2). Ils ont comparé les effectifs des corvidés à ceux de diverses espèces partageant leur habitat (passereaux, limicoles, oiseaux marins…).
Dans la majorité des zones étudiées, l’impact de la présence de corvidés sur les autres populations d’oiseaux est très faible, voire nul. Cet impact serait par ailleurs bien moindre que celui d’autres prédateurs naturels comme les renards et les rapaces.

Occasionnellement, il existe même une relation positive entre l’abondance de corvidés et celle d’autres espèces d’oiseaux. Il est possible que ce dernier résultat soit le fruit du hasard, lié par exemple aux ressources alimentaires disponibles, au climat ou encore à l’activité humaine. Quoi qu’il en soit, les chercheurs suggèrent dans cette étude que les populations de passereaux ne sont pas limitées par la prédation des corvidés. Selon eux, les mesures de conservation visant les passereaux et autres petits oiseaux devraient se concentrer sur des facteurs différents : la qualité de l’habitat et de l’environnement, la quantité de nourriture disponible, la présence d’espèces invasives, etc. (lire le résumé de l’étude scientifique).

Les corvidés sont également des proies 

 

Comme la plupart des êtres vivants, les corvidés sont eux aussi les proies de plusieurs espèces carnivores :
des rapaces comme l’épervier d’Europe, l’autour des palombes, le hibou grand-duc ou le faucon pèlerin,
ainsi que des mammifères tels que la martre, le renard ou la fouine.
Les écureuils et les rats sont également susceptibles de consommer les œufs de nids laissés sans surveillance.
Il existe quelques rares observations de prédation de la buse variable sur le corbeau freux.
Les dérangements, voire la prédation d’œufs et de juvéniles, sont également imputables au Rollier d’Europe, dans le sud de la France.

 

Enfin, la corneille noire, en raison de la prédation qu’elle exerce sur les œufs et oisillons de pies, ainsi que la pression de territoire qu’elle impose à cette dernière, représente l’un des principaux régulateurs de la pie bavarde.

 


Les corvidés et leur environnement

Pour qu’une espèce s’installe dans un habitat, il doit rassembler toutes les conditions nécessaires à son développement.
Par exemple, si un milieu regorge de ressources alimentaires
mais qu’aucun site de nidification n’est disponible, l’espèce ne peut s’y établir.
De la même façon, s’il y a trop d’individus d’une même espèce par rapport aux ressources du milieu,
certains mourront et la population sera régulée naturellement
(en savoir plus sur la régulation des populations de corvidés).

La capacité d’adaptation des corvidés leur permet d’occuper une grande diversité d’habitats. En France, la pie bavarde et la corneille noire sont présentes sur la quasi totalité du territoire. Les effectifs semblant se concentrer (tout particulièrement pour la pie bavarde) essentiellement en zone urbaine, qui offre des ressources alimentaires plus abondantes et une pression de prédation moins importante. 
Pour autant, comme pour tous les oiseaux ces dernières années, on note une baisse considérable des effectifs sur la plupart des espèces de corvidés. 

 

Les nids de corvidés : un trésor pour la Nature

Les nids des corvidés, sont régulièrement réutilisés par d’autres espèces, notamment par des rapaces diurnes
et nocturnes, ainsi que par des écureuils.
Ces nids, une fois désertés, abritent également des dizaines d’espèces de micro-organismes et d’insectes,
constituant un véritable écosystème miniature (3).

     
  Le cas du faucon kobez constitue l’un des exemples marquants de l’importance de la présence des corvidés.
Comme de nombreux rapaces, ces faucons réutilisent les nids des corbeautières. Dans l’est de l’Europe, entre 1980 et 1990, les corbeaux freux ont été massivement chassés. Il en a résulté une diminution drastique des populations de faucons kobez : environ 90% des couples ont disparu (4) !
Dans une perspective de conservation de ces faucons (prédateurs de coléoptères et de sauterelles), de nombreux chercheurs proposent donc de favoriser l’installation de colonies de corbeaux freux.
 
     

 

Autre fait notable : les nids de corvidés sont régulièrement « parasités » par un autre oiseau : le coucou geai.

Les parents du coucou-geai pondent jusqu’à 8 œufs dans le nid des corvidés, qui couvent alors ceux-ci comme s’il s’agissait des leurs. Contrairement aux coucous gris, une fois éclos, les jeunes coucous-geais ne poussent pas les autres petits hors du nid. Ils sont élevés aux côtés de leurs ‘frères et sœurs’ adoptifs (5).

Le coucou-geai étant l’un des principaux régulateurs de chenilles telle que la processionnaire des pins, son rôle est primordial pour la santé de l’écosystème, tout comme celui de ses indispensables parents nourriciers : pies et corneilles.

 

Il existe de très nombreuses dynamiques inter-espèces semblables à celles-ci.
Il est capital de les prendre en compte avant d’agir sur une population d’espèce sauvage.

 

 

Les corvidés : incontournables jardiniers

Le geai, grand jardinier des forêts

Le geai des chênes est connu pour sa capacité à constituer des réserves pour l’hiver. Durant l’automne, il peut cacher des dizaines de glands par jour – jusqu’à 4500 par an pour un seul individu (6). Mais il arrive que le geai ne se souvienne pas de toutes ses cachettes, ou que ses points de repère aient disparu avec le temps. Ces glands oubliés ou perdus vont alors germer, faisant du geai l’un des grands reboiseurs de l’Europe.
Par ailleurs, son aire de répartition correspond à celle de nombreuses espèces de chênes. Il est donc très certainement l’un des principaux facteurs de dispersion de ces arbres (3)

À savoir :
En forêt, le geai des chênes est une véritable « sentinelle » : au moindre mouvement ou bruit suspect, il lance une série de cris d’alerte. Des chercheurs ont démontré les réponses comportementales d’espèces étrangères : en entendant ces cris, les écureuils roux s’enfuient et les grands corbeaux adoptent des comportements de vigilance et de fuite (7) (8).

Il a été récemment découvert que les pies jouent, elles aussi, un rôle important dans le reboisement de nos forêts.
Les auteurs d’un article publié en 2019 (9) ont constaté, dans l’espace observé, que la pie bavarde cachait jusqu’à la moitié de la production de glands des chênes verts.
De plus, l’efficacité de la dispersion permettait la création de semis particulièrement denses.

 

— Retourner en haut de la page —

 

Rédaction : Julie Bosca, Guillaume Lespagnol, Véronique Bialoskorski.
Crédits photos : LADeL


Sources

Pour revenir sur la partie du texte où la source est citée, cliquer sur le chiffre (en vert en début de ligne).

(1) Document « Pies bavardes et corneilles noires dans  les zones d’habitation » réalisé par l’ASPO et BirdLife Suisse (2012). Lire ce document

(2) Madden, C. F., et al. (2015). A review of the impacts of corvids on bird productivity and abundance. Ibis, 157(1), 1-16.

(3) Livre « The Crows : A study of the corvids of Europe » par Charles John Franklin Coombs, paru aux éditions Batsford en 1978.

(4) Palatitz, P., Fehérvári, P., Solt, S., & Horváth, É. (2015). Breeding population trends and pre-migration roost site survey of the red-footed falcon in Hungary. Ornis Hungarica, 23(1), 77-93.

(5) Canestrari, D., et al. (2014). From parasitism to mutualism: unexpected interactions between a cuckoo and its host. Science, 343(6177), 1350-1352.

(6) Livre « L’étonnante intelligence des oiseaux » par Nathan Emery (traduit par Mickaël Legrand), paru aux éditions Quae en 2017.

(7) Randler, C. (2006). Red squirrels (Sciurus vulgaris) respond to alarm calls of Eurasian jays (Garrulus glandarius). Ethology, 112(4), 411-416.

(8) Davídková, et al. (2020). Ravens respond to unfamiliar corvid alarm calls. Journal of Ornithology, 161(4), 967-975.

(9) Martínez‐Baroja, et al. (2019). Massive and effective acorn dispersal into agroforestry systems by an overlooked vector, the Eurasian magpie (Pica pica). Ecosphere, 10(12), e02989. Lire un résumé en français de cette étude (Ornithomédia)

 

 

Pour aller plus loin :

 

Les commentaires sont fermés.